En musique classique, le nom d’Andrès Segovia est presque synonyme du mot « guitare », de par l’importance de sa contribution au répertoire et à la renommée de l’instrument. Au début du 20e siècle, la guitare n’est pas jugée digne du domaine classique comme le piano ou le violon, même en Espagne. Ce manque de reconnaissance vient en partie d’un problème de lutherie : la guitare telle qu’on la fabrique alors n’émet pas un son assez puissant pour les salles de concert. On l’associe aussi davantage à la musique populaire.
Segovia s’attaque de front aux deux problèmes. D’abord, fidèle aux modèles de l’époque, il obtient de José Ramirez une guitare exceptionnelle qu’il doit, selon son souvenir, « payer en faisant connaître son fabricant partout dans le monde. » Plus tard, il collabore avec le luthier Hermann Hauser Sr. pour étendre la portée d’un nouveau modèle grâce à des bois et à des cordes de meilleure qualité. Tous deux la font aussi évoluer vers une forme plus ample qui en déploie la résonnance. En même temps, Segovia développe un répertoire exigeant, à la fois classique et contemporain. En plus d’adapter des pièces de Francisco Tárrega, il interprète lors de sa tournée de 1928 aux États-Unis les Études que le compositeur brésilien Heitor Villa-Lobos lui dédie. Une amitié au long cours s’établit entre eux et chacun contribue à la renommée de l’autre. Le guitariste s’attaque ensuite au répertoire de Bach, interprétant en 1935 sa version de la Chaconne de la partita no2, une pièce exigeante pour tout instrumentiste.
Après la 2e Guerre mondiale, il multiplie les enregistrements et les tournées en Europe et aux États-Unis. Il obtient d’ailleurs en 1958 le Grammy de la meilleure performance classique pour son disque Segovia Golden Jubilee. Ennobli en 1981 par le gouvernement espagnol, il continue de jouer jusqu’à un âge avancé, comme le montrent les documentaires Segovia at Los Olivos (1967) et The song of the guitar (1976), réalisés à neuf ans d’intervalle par Christopher Nupen. Segovia reçoit en 1986 un Grammy pour l’ensemble de sa carrière. Il meurt l’année suivante, malgré la prière qu’il formulait avec humour : « Mon Dieu, je ne tiens pas au paradis : s’il-vous-plaît, laissez-moi ici. » On peut en conclure que le Ciel autant que la Terre avait besoin d’un apôtre de la guitare.